12/11/2016
La Compagnie de Jésus : « ramer vers le large », avec un nouveau capitaine

C’est un clin d’œil du calendrier : la 36e Congrégation générale a pris fin le jour même où celui qu’elle a élu Supérieur général fêtait son 68e anniversaire. L’occasion pour WUJA de souhaiter la bienvenue au Père Sosa dans sa nouvelle fonction et de le présenter plus en détails aux anciens élèves du monde entier.

 

« Il suffit de regarder la photo de groupe de la Congrégation pour se rendre compte de son immense diversité culturelle ; plus de cent pays sont représentés autour de la même table, chacun avec son propre bagage culturel. Il existe également une culture commune, qui tient à l’expérience des Exercices spirituels et à celle du discernement. Il y a un long entraînement et un désir ardent d’écouter la même voix : celle de l’Esprit, et je crois que c’est ainsi que nous avons travaillé ces derniers jours. »

Ces propos furent prononcés par celui qui était alors (le 7 octobre 2016) Délégué des maisons internationales de Rome, Arturo Sosa, dans une réflexion utilisée pour une brève vidéo abordant le thème de la diversité culturelle et l’unité au sein de la Congrégation générale. Il ignorait que moins d’une semaine plus tard, il deviendrait « en charge » de ce groupe de plus de 16 500 personnes culturellement différentes, dispersées, mais unies, dans le monde entier.

À ce moment, le Père Sosa ne se doutait pas que le 14 octobre, le P. Patrick Mulemi, Directeur du bureau des communications et des relations publiques annoncerait en ce termes au public sa désignation comme 31e Supérieur général dans les 476 ans d’histoire de la Compagnie : « Ce matin, après quatre jours de prière et de réflexion, la Compagnie de Jésus à élu le Père Arturo Sosa, du Venezuela, comme notre nouveau Supérieur général ».

Le Père Sosa se trouve désormais à la tête des 16 740 jésuites présents dans le monde (12 000 prêtres, 1 300 frères, 2 700 scolastiques et 753 novices). Il est le premier non-Européen à occuper ce qui est considéré par d’aucuns comme la deuxième fonction par ordre d’importance dans la hiérarchie catholique, après évidemment la charge papale. Cette élection a eu lieu dans le cadre de la 36e Congrégation générale de la Compagnie de Jésus, qui s’est tenue à Rome en octobre et novembre 2016.

La 36e Congrégation : un appel à « ramer vers le large »

Dans l’une de ses dernières allocutions en tant que Père général, Adolfo Nicolas SJ a exprimé ses attentes à l’égard de la 36e Congrégation générale, en déclarant : « les temps ont changé et la Compagnie de Jésus a davantage conscience que nous avons besoin de vaillance, d’imagination et de courage pour assumer notre mission au sein de la mission plus large de Dieu envers notre monde ».

C’est précisément la raison pour laquelle, selon les termes de l’exhortation faite par le Pape François aux membres de la Compagnie de Jésus dans le cadre du bicentenaire de sa restauration en 2014, dans laquelle il invitait les Jésuites à discerner au milieu de temps difficiles, à être dociles et obéissants à la volonté de Dieu et à « ramer tous ensemble au service de l’Église » et en réponse à l’appel à « aller aux frontières » lancé par le Pape Benoît XVI dans son dernier message à la 35e Congrégation générale, la Compagnie de Jésus a choisi le slogan « En ramant vers le large » comme devise générale de sa 36e Congrégation générale. Ce slogan résume le défi qu’implique le quatrième vœu des Jésuites (l’obéissance au Pape).

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Source : www.gc36.org

Dans sa première conférence de presse donnée en qualité de Supérieur général, le Père Arturo Sosa SJ a confié son sentiment sur cet objectif premier de la Compagnie de Jésus face aux besoins du monde d’aujourd’hui : « Je pense que ce lien avec le Pape est absolument au cœur de la Compagnie de Jésus, car nous ne sommes pas en mesure de déterminer quelles sont les priorités de l’Église. Si vous vous trouvez à un endroit, vous avez tendance à vous focaliser sur ce qui se passe à cet endroit. Mais il y a une personne au sein de l’Église qui dispose d’une vue d’ensemble et qui peut dire : ‘Non, ce que tu fais est très important mais j’ai besoin de toi pour une autre mission dans un autre endroit du monde’. L’idée est donc la suivante : être une organisation à même d’aider l’Église là où elle a besoin de nous, quand elle a besoin de nous et pour faire ce dont elle a besoin. Et qui peut déterminer les besoins de l’Église ? Le Pape ! En effet, sa fonction au sein de l’Église est d’abord de porter le titre d’Évêque de Rome, mais ensuite, de rassembler et de prendre soin de l’ensemble de l’Église. L’obéissance de la Compagnie de Jésus envers le Pape l’amène dont à mieux servir l’Église et l’humanité.

Le Saint Père a développé trois aires de cheminement pour la Compagnie :

  • Le premier est de « demander instamment la consolation ». Le propre de la Compagnie est de savoir consoler, apporter la consolation et la joie véritable ; les jésuites doivent se mettre au service de la joie car la Bonne Nouvelle ne peut se dire dans la tristesse.
  • Ensuite, François nous invite à « nous laisser émouvoir par le Seigneur mis en croix ». Les jésuites doivent se faire proche de la grande majorité des hommes et des femmes qui souffrent et, dans ce contexte, offrir les services – divers services sous diverses formes – de la miséricorde. Le pape a souligné certains éléments qu’il avait déjà eu l’occasion de présenter tout au long de l’année jubilaire de la miséricorde. Nous qui avons été touchés par la miséricorde devons nous sentir envoyés pour présenter, de manière efficace ajoute-t-il, cette même miséricorde.
  • Enfin, le Saint Père nous invite à avancer en étant mus par le « bon esprit ». Cela implique de toujours discerner – plus que simplement réfléchir – comment agir en communion avec l’Église. Les jésuites doivent être non pas « cléricaux » mais « ecclésiaux ». Ils sont des « hommes pour les autres » qui vivent au milieu de tous les peuples, cherchant à toucher le cœur de chacun et chacune, contribuant ainsi à constituer une Église où tous ont leur place, où l’évangile est inculturé et où chaque culture est évangélisée.

Les trois derniers mots du discours du pape sont des grâces que tout jésuite et que la Compagnie dans son ensemble doivent toujours demander : la consolation, la compassion et le discernement.

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Source : www.gc36.org

Après l’élection de leur Supérieur, les délégués se sont réunis sur des thèmes d’importance, tous en relation avec l’appel à « ramer vers le large », ayant trait notamment à la mission de la Compagnie à sa structure, ainsi qu’aux œuvres des Jésuites et d’autres sujets amorcés par les congrégations antérieures, tels que le service de la foi et la promotion de jésuite, qui constituent les principales caractéristiques de la  mission de la Compagnie depuis la 32e Congrégation générale en 1974.

L’élection d’un Supérieur général : mettre le bon capitaine à la barre

Dans un article dédié à l’élection du Père Général paru sur le site d’information catholique Crux, Austen Ivereigh a rapporté quelques qualités que doit présenter le nouveau Général. Il s’est pour ce faire basé sur des entretiens avec des Jésuites de tous âges issus de communautés liées à des Universités en Colombie, en Équateur et au Venezuela. Le nouveau Père général devrait d’après ces derniers être :

  • Capable au minimum de suivre l’élan du Pape François qui, d’après eux, fixe une cadence et des objectifs qui ont effectivement fait bouger la frontière avec Rome ;
  • Un homme de gouvernance, capable de répondre aux implications structurelle d’un ordre dont les rangs connaissent un net recul en Europe, une croissance rapide en Asie et en Afrique, ce qui ouvre la porte à une meilleure cohérence de la Compagnie dans le monde ;
  • Un défenseur de l’apostolat social, un visionnaire capable d’inspirer et d’articuler l’engagement universel des Jésuite pour les pauvres, l’écologie et la diversité humaine, à l’instar de Pedro Arrupe, le Général qui dirigeait la Compagnie lors de la période de renouveau qui a fait suite au Concile Vatican II ;
  • Pas trop âgé (maximum 70 ans), car le fait de quitter sa charge après moins de 10 ans contrevient au souhait insistant d’Ignace de Loyola que les Généraux soient élus à vie ; et finalement :
  • Un latino-américain, car il était temps que le leadership de la Compagnie reflète le déplacement vers le sud du centre de gravité, à la fois des Jésuite et de l’Église dans son ensemble, même si l’heure de l’Asie et de l’Afrique, dont les Jésuites ont souvent manqué de connaissance de l’Église universelle, n’est pas encore venue.

Cette description ne reflète pas uniquement les positions du groupe interrogé par Austen Ivereigh mais, lors des recherches effectuées en préparation du présent article, l’équipe rédactionnelle de WUJA a constaté que de nombreux Jésuites partageaient ce point de vue, au point que l’on puisse se demander s’il ne représente pas une large majorité au sein de la Compagnie.

Comment l’élection s’est-elle déroulée ?

Le processus d’élection de la personne appelée à diriger la Compagnie a été conduit avec l’importance de circonstance par les 212 jésuites électeurs, qui ont suivi les étapes prévues par les règlements pour l’élection du 31e Præpositus Generalis (intitulé officiel de la fonction de Père général). Comme l’indique le P. Orlando Torres, Recteur des maisons jésuites d’étude à Rome, ce processus de la tradition jésuite est unique : « Si vous n’avez jamais vécu ce processus, il est difficile de croire que cela puisse exister… Je n’ai jamais vu une telle élection ailleurs dans le monde ».

Les étapes du processus électoral sont les suivantes :

Quatre jours de « Murmurationes » : pratique séculaire de dialogue en face-à-face afin de rassembler des informations conformément aux besoins identifiés Durant la Congrégation générale. Il est exclu de tenir des conversations en groupes et de se proposer comme candidat aux autres électeurs.

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Source : www.gc36.org

Le jour de l’élection :

  • Messe pour le Saint-Esprit : ayant pour but d’invoquer la présence et l’aide du Saint Esprit parmi le groupe d’électeurs, c’est pourquoi elle a été célébrée en la bien nommée Église du Santo Spirito in Sassia, l’homélie ayant été prononcée par le Père James Grummer SJ, Vicaire général de la Congrégation.
    Voici quelques réflexions développées dans son homélie par le Père Grummer au sujet du rôle des électeurs et de l’importance de la présence du Saint Esprit lors du processus électoral :

« Notre mission, ce matin, est d’élire un Général. Nous serons enfermés dans une chambre haute, non par crainte, mais pour affiner notre écoute du murmure de l’Esprit. Nous n’avons pas peur car nous croyons si fortement que l’Esprit guide le scrutin que, selon le n°84 de la Formula, ‘l’élu ne peut pas refuser l’élection’. »

« Même si, en ce qui me concerne, mon appareil auditif spirituel manque de piles, je peux faire confiance que, parmi ce groupe de frères, l’Esprit permettra d’identifier l’homme qu’il a choisi. Nous pouvons avoir confiance que Jésus nous donnera son Esprit, et peu importe jusqu’à quel point nous pouvons nous sentir verrouillés. »

« Je crois que la raison pour laquelle Ignace a si peu parlé de l’Esprit Saint est qu’il ne voulait pas, par des paroles, éloigner sceptiques et inquisiteurs d e l’action de l’Esprit et les empêcher d’accueillir la joie, les dons et la mission que l’Esprit Saint envoie ».

« Le silence d’Ignace sur l’Esprit laisse plus d’espace pour contempler et éprouver – d’une manière personnelle et unique – les dons de l’Esprit Saint. Alors que nous célébrons l’Eucharistie à cet autel, ce matin, que l’Esprit emplisse notre silence de joie ainsi que de tous les dons dont nous avons besoin pour assumer la mission spéciale de ce jour : choisir celui que le Seigneur a choisi. »

  • Rassemblement de contemplation : Ultime moment avec le vote : un groupe rassemblé en silence dans l’aula de la Curie jésuite pour observer une heure de prière silencieuse.
  • Scrutin : Organisé selon la méthode traditionnel du bulletin papier secret, comme au temps du fondateur de la Compagnie, Saint Ignace de Loyola. Pour être élu général, il faut recueillir 107 voix (50 % + 1 des 212 votants).
  • Annonce du nom au Pape : La première activité après l’élection du Père Sosa fut de téléphoner directement au Pape François pour l’informer de la décision.

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Source : www.gc36.org

Pourquoi un Père général latino-américain ?

Ce n’est pas une coïncidence de voir les Jésuites élire un Général latino-américain alors même que le Pape provident lui aussi de cette région du monde, qui est celle qui compte la plus forte proportion de Catholiques par rapport à la population, atteignant une moyenne de 60 % en Argentine, en Bolivie, au Brésil, en Colombie, en Équateur, au Costa Rica, au Mexique, au Panama, au Paraguay, au Pérou, en République Dominicaine et au Venezuela, et plus de 50 % au Chili, au Salvador, à La Grenade, au Guatemala, au Honduras, au Nicaragua et en Uruguay.

L’Amérique latine compte près de 483 millions de Catholiques, soit 41,3 % de la population catholique mondiale, qui s’élève à 1,2 milliard.

Cette région est également considérée comme un bon « berceau » pour occuper une haute fonction catholique, en raison de l’empathie qu’un « Latino » peut développer envers les Catholiques d’Europe (particulièrement ceux d’Italie, d’Espagne ou du Portugal) étant donné l’héritage latin commun, envers ceux vivant dans les pays du Tiers-monde et les régions du Sud, en raison des similarités dans les comportements socio-économiques et les défis qui se posent à ces régions et leurs peuples, ainsi qu’envers ceux d’Amérique du Nord, eu égard au lien hémisphérique et aux relations culturelles et économiques entre « les Amériques ».

Rafael Luciani, docteur en théologie, professeur à l’Université Andrés Bello de Caracas et au Boston College, ami proche et collègue du Père Arturo Sosa, considère que ce dernier incarne un point de maturité atteint par la Compagnie de Jésus en Amérique latine, qui a été permis par les changements post-Vatican II et sous le généralat du Père Arrupe, et qui porte à présent ses fruits.

Le Père Timothy P. Kesicki SJ relève que « issu du Nouveau Monde, il (Sosa) apporte les richesses de l’Église d’Amérique latine et connaît également les défis ». Pour utiliser ses propres termes, « des options pastorales-théologiques susceptibles de répondre aux défis du temps présent ».

Quels sont les atouts du Père Sosa face à ce défi ?

Dans une brève séance de questions/réponses avec les médias présents aux portes de la Curie généralice à Rome juste après l’annonce de l’élection du Père Sosa comme nouveau Général, il a été dit que le Vénézuélien : « … dispose d’une large expérience dans le domaine de la foi et de la justice mais est également une personne attentive à l’apostolat intellectuel de la Compagnie de Jésus, ayant été recteur d’une université durant dix ans, il connaît très bien les initiatives des Jésuites à Rome, comme la Grégorienne (Université pontificale), l’Institut oriental (P.I.O) et l’Institut biblique (P.I.O) ; il a énormément d’expérience ! »

Le Père Lombardi a également déclaré dans une interview au Catholic Herald avant le processus électoral : « En tant qu’électeur, je ressens le besoin d’avoir une relation personnelle avec la personne pour qui j’envisage de voter… Il ne suffit pas que quelqu’un dise ‘il est bien’. Nous devons nous en assurer et le connaître personnellement. »

Le Jésuite irlandais Gerry Whelan, professeur à la Grégorienne, décrit Arturo Sosa comme « un homme de décision, familiarisé et à l’aise dans les rôles de leadership… qui n’a pas peur de se jeter au milieu de situations complexes ou difficiles, pour s’efforcer d’atteindre un bon résultat… Il est une personne extravertie, chaleureuse et résistante, qui fera un très bon dirigeant. »

Le Père Damian Howard SJ, électeur de la province de Grande-Bretagne, confie son sentiment face à la manière dont le Père Sosa a réagi à son élection « Beaucoup auraient tendance à être plutôt intimidés d’être désignés Général… Mais il semble aborder son élection avec une certaine décontraction, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles bon nombre d’entre nous ont jugé pouvoir lui confier cette charge. »

Le Père Luis Ugalde SJ, un confrère espagnol de la Province du Venezuela, et ami proche du Père Sosa, le définit comme « clairement engagé dans l’esprit du Concile Vatican II et suivant Jésus avec une foi d’œuvrer à un monde plus juste, délivré des barrières de la haine et de la discrimination… Comme le pape, il n’a pas peur d’enlacer et d’embrasser… Il croit en les laïcs, en les réseaux, et est doté d’un redoutable sens de l’humour. Pour les Jésuites du Venezuela, il a toujours été un point de référence. » Ugalde ajoute également que Sosa « fera un bon Général, pendant longtemps. »

Dans une interview donnée à America Magazine, le président des provinces jésuites du Canada et des États-Unis, le Père Timothy P. Kesicki SJ, décrit Arturo Sosa comme « un homme disposant d’expérience interculturelle, ayant étudié à l’Université grégorienne de Rome tout comme dans des universités de son pays natal. De plus, outre l’espagnol, il parle aisément l’anglais et l’italien, et comprend le français. Il est dès lors en mesure de correspondre et de communiquer avec des membres de la Compagnie de différents pays… originaire du Venezuela, il a une expérience directe de certains défis auxquels nous faisons face aux États-Unis, et est particulièrement conscient des difficultés rencontrées par les migrants venant d’Amérique latine. »

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Source : www.gc36.org

Un Général des Jésuites vénézuélien : une nouvelle importante pour un pays en crise

Certains experts considèrent qu’en élisant un Vénézuélien comme Général, la Compagnie de Jésus prend tacitement position pour la manière dont le gouvernement vénézuélien gère ce pays d’Amérique du Sud, qui traverse une crise sociale, politique et économiques parmi les plus graves jamais connues dans l’hémisphère nord, uniquement comparable à la crise humanitaire vécue à Haïti au début du 21e siècle. Dans les différentes fonctions qu’il a occupées dans le monde académique, dans le domaine social ou politique, Arturo Sosa a toujours eu un rôle de critique envers le gouvernement, s’efforçant de soutenir moralement, intellectuellement et spirituellement les peuples des pays des Caraïbes. Il décrit lui-même sa relation avec la réalité du Venezuela : « Comme vous l’avez probablement lu dans mon CV, j’ai dédié la majeure partie de mon activité intellectuelle et apostolique à comprendre le processus socio-politique du Venezuela, ainsi que le rôle de l’Église dans le pays. »

D’aucuns vont jusqu’à considérer ce rôle comme semblable à celui joué par son collègue et ami Jorge Mario Bergoglio avant de devenir Pape, dans l’Argentine des années 1970, sous la dictature de Rafael Videla, et sa relation de critique avec l’ancienne présidente Cristina Fernandez. L’universitaire vénézuélien Rafael Luciani réaffirme sa position en affirmant : « Arturo jouera un rôle très important dans ce contexte (en tant que Général des Jésuites), comme il l’a fait au Venzuela. »

Dans sa dernière fonction avant d’être envoyé en Rome en août 2014, le Père Sosa a dirigé un séminaire sur le thème de la situation socio-politique vénézuélienne au centre Fe y Culturas (Centre jésuite foi et cultures) à Medellin, Colombie, dirigé par son proche ami et collègue le P. Horacio Arango SJ (†), lors duquel il a formulé une critique importante du rôle de l’Église vénézuélienne face à la situation de polarisation dans le pays des Caraïbes : « Je ressens que le Venezuela est une société blessée… L’Église représente beaucoup et elle est aussi divisée que le pays ; il y a beaucoup de Chavistes catholiques, et beaucoup dans l’opposition. La hiérarchie de l’Église vénézuélienne n’a pas été en mesure de trouver sa place ; elle a eu une position biaisée, trop manifeste, en faveur de l’opposition, ce qui lui a fait perdre de l’autorité, autorité que peut avoir quiconque ose dépasser quelque peu cette logique de polarisation.

Actuellement, s’il fallait trouver une médiation, l’Église vénézuélienne ne pourrait pas l’assurer… la hiérarchie ecclésiale du Venezuela n’a trouvé ni le langage ni la position que devrait inspirer la foi ou le rôle de pasteur.

Alors, que puis-je faire ? Comment puis-je contribuer à cette réflexion ?

La Compagnie de Jésus a essayé de maintenir sa position à travers ses publications et ses cours, en tentant de préserver une voie intermédiaire, mais il est assez difficile de conserver une position de cette nature. »

Dans une interview qu’Arturo Peraza SJ, provincial du Venezuela, a donnée à la chaîne vénézuélienne VALETV, il a exprimé clairement en quoi le Père Arturo avait, selon lui, tout ce qu’il fallait pour sa nouvelle fonction. « Le travail social du Père Sosa ainsi que ses aptitudes intellectuelles et de gestion, ont conduit mes confrères à le considérer comme une personne idéale pour prendre aujourd’hui la direction de la Compagnie universelle ».

Il a également confié son point de vue sur l’effet direct qu’aura sur le Venezuela l’élection de l’un de ses ressortissants en tant que Père Général : « Notre Père (Dieu) tente de nous réconforter, il nous dit qu’il est proche de nous. Le Seigneur nous appelle à réaliser que nous avons la force, les gens et le chemin, parce que je pense que nous les Vénézuéliens, devrions nous regarder dans ce type de miroirs, pour comprendre que nous avons la capacité de nous en sortir au milieu des difficultés. »

Pour mieux le connaître. Quelques-unes de ses réflexions sur différents sujets

Le Père Arturo Sosa a été décrit comme une personne chaleureuse, joyeuse et accessible, dotée d’un grand charisme et d’un sens de l’humour, mais également rigoureuse, compétente intellectuellement et ayant un sens aigu de l’empathie et de la compréhension sociale. Voici quelques éclairages sur la personnalité de prêtre vénézuélien, à travers certaines de ses réflexions sur des sujets transcendants, et parfois moins sérieux :

Sur le leadership et l’engagement citoyen :

Propos tenus dans un cours en vidéo sur la gouvernance et le leadership politique pour le programme de leadership de l’Université latino-américaine, lorsqu’il était recteur de l’Université Tachira.
  • « Le citoyen de cette époque a besoin d’une vision globale ou planétaire des intérêts communs, dans laquelle la possibilité d’une humanité ayant une qualité de vie élevée, tout en assurant la durabilité de la planète à long terme, constitue un élément central. Tel est le défi du leadership d’aujourd’hui. »
  • « Nous sommes passé de valeurs bien plus solidaires et de partage de nos richesses, de nos biens et de notre vie en général, à l’imposition de cette valeur qui est le bénéfice économique en des termes strictement individuels. »
  • « L’érosion de la diversité culturel entraîne une affaiblissement des cultures (et notamment des cultures très anciennes) et l’exclusion de grands groupes d’êtres humains obligés d’abandonner leurs cultures et de rejoindre de manière marginale le modèle dominant. »
  • « Dans la dynamique d’un monde globalise et interdépendant, il apparaît trompeur de faire confiance à la convergence des décisions individuelles ; il est nécessaire de prendre des actions volontaires pour atteindre l’objectif de justice sociale ! »

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Source : www.gc36.org

Sur son accession à la fonction de « Pape noir » :

Propos tenus lors de sa première conférence de presse en tant que Supérieur général.
  • « Cela désignerait mieux le Père Mulemi » (boutade adressée au P. Patrick Mulemi, qui était assis à ses côtés, en raison de la couleur de peau de ce dernier. Hilarité générale.)
  • « Je dois dire que je n’apprécie pas l’expression de ‘Pape noir’, car en tant que Jésuites, nous faisons un vœu, une promesse de ne pas ambitionner de position ecclésiale comme une charge épiscopale ou papale. Pour moi, le Pape et les Jésuites sont comme l’huile et le vinaigre : c’est ce qui compose une salade. La Compagnie de Jésus compte 60 ou 70 évêques de diocèses situés dans des zones où personne ne veut se rendre ; je peux citer l’exemple de la Turquie : un évêque jésuite vient d’y être nommé… Personne ne voulait y aller… L’évêque précédent a été assassiné. »
  • « Le Pape Bergoglio rend un service à l’Église en tant que Jésuite. »
  • « La Compagnie de Jésus désire servir l’Église à travers sa vocation, et cette vocation consiste à soutenir ce que font les évêques et le Pape dans le cadre de leurs responsabilités pastorales. »

Sur sa relation personnelle avec le Pape François :

Propos tenus lors de sa première conférence de presse en tant que Supérieur général.
  • « Durant la 33e Congrégation, lorsque j’ai rencontré le Père Lombardi, j’ai également rencontré le Père Bergoglio, qui était délégué. En raison de la disposition de la salle (nous y étions placés par ordre alphabétique), nous étions assis l’un en face de l’autre et nous sommes donc fait face durant les deux mois et demi qu’a duré la Congrégation. Nous nous saluions lors des activités de groupe, etc. C’était ma première rencontre avec le Père Bergoglio, qui était alors Jésuite.
  • Ensuite, lors de plusieurs séjours de travail dans les centres sociaux en Argentine, je l’ai rencontré lorsqu’il était évêque de Buenos Aires, et puis la fois suivante, c’était lorsqu’il était déjà devenu Pape, il y a deux ans, en septembre 2014 ; nous avions célébré une belle après-midi liturgique au Gesù ; en tant que Délégué pour les maisons internationales, j’avais la charge de l’accueillir et depuis lors, nous nous sommes rencontrés à trois, quatre ou cinq reprises, chaque fois dans le cadre des relations entre les maisons internationales et le Pape. »
  • « Je tiens à souligner qu’il est aisé d’entrer en communication avec le Pape François, et je ne songe pas uniquement au fait de le voir, mais également d’avoir avec lui une communication cordiale. »

Sur ce qu’il préfère dans la Compagnie de Jésus :

Propos tenus lors de sa première conférence de presse en tant que Supérieur général.
  • « Ce que j’aime dans la Compagnie de Jésus ? Je pourrais répondre simplement : Tout ! Ce qui m’a le plus attiré depuis que je suis jeune c’est le fait que la Compagnie forme un corps apostolique ayant de multiples dimensions. »

QUELQUES ÉLÉMENTS AU SUJET D’ARTURO SOSA SJ :
Nom : Arturo Marcelino Sosa Abascal
Lieu de naissance : Caracas, Venezuela
Date de naissance : 12 novembre 1948
Il a été diplômé du Collège San Ignacio de Caracas en 1966, est donc un ancien élève des Jésuites et, à ce titre, un membre de facto de WUJA.
C’est la même année qu’il entra dans la Compagnie de Jésus.
CV en tant que Jésuite :
Année d’ordination : 1977
1977-1996 : Membre du recherche et d’action sociale de la province du Venezuela.
1996-2004 : Supérieur provincial du Venezuela.
1998-Present : Membre du Conseil rectoral de l’Université catholique de Tachira (Venezuela)
1998-2008 : Recteur de l’Université catholique de Tachira (Venezuela)
2008-2014 : Conseiller général.
2014-2017 : Délégué pour les maisons internationales de la Compagnie de Jésus à Rome
Depuis le 14 octobre 2017 : Supérieur général de la Compagnie de Jésus
Parcours universitaire, éditorial et de recherche
1972 : Maîtrise en philosophie / Université Andres Bello
1978 : Théologie
1994 : Doctorat en sciences politiques / Université centrale du Venezuela
Langues : Parle espagnol, italien et anglais, comprend le français
1978 -1979 : Professeur à l’Université catholique Andres Bello :
Séminaire d’histoire et d’idées politiques
Cours de théorie politique contemporaine
Cours sur l’évolution sociale au Venezuela
Cours sur l’État au 20e siècle
1982-1984 : Chercheur à temps plein à l’Institut d’études politiques de l’Université centrale du Venezuela
1982-1996 : Professor at the CentralProfesseur à l’Université centrale du Venezuela :
Cours d’histoire des idées politiques au Venezuela
Séminaire de maîtrise au sein de la faculté des sciences politiques et juridiques
1985-1994 : Professor à l’École supérieure des forces armées vénézuéliennes :
Analyse socio-politique du Venezuela / Cours des officiers et État-major
2004 : Professeur invite au Centre des études latino-américaines de l’Université Georgetown
2006 : Professeur de Pensée politique vénézuélienne à l’Université catholique de Táchira
2008-2009 : Lecture guidée dans le cadre du doctorat en droit en programme commun entre l’Université catholique du Venezuela et l’Université centrale.
Collaboration à des publications :
A publié des articles dans de multiples revues influentes au Venezuela, telles que :
SIC, Politeia, Revue de la faculté des sciences politiques et juridiques, Revue de spiritualité ignatienne, Iter.
1975-1983 : Éditorialiste pour El Nacional, un journal vénézuélien et collaborateur au supplément culturel du journal Últimas Noticias.
Ouvrages collectifs :
Venezuela Cooperativista (1977)
Venezuela: Análisis y proyecto (1982)
La evolución de las ideas originantes del proyecto político de Acción Democrática 1928-1941 (1984)
Las elecciones de 1983 y el sistema político venezolano (1984)
Realidad Social de Venezuela. (1985)
Evangelizar el Mundo Político venezolano (1985)
Gómez, gomecismo y antigomecismo (1987)
La Formación de la Venezuela Rentista 1899-1957 (1989)
El Sistema Político Venezolano entre 1958 y 1989 (1989)
Prospectiva del Sistema Político Venezolano (1989)
La Política Social de Rómulo Betancourt (1989)
Del garibaldismo estudiantil a la izquierda criolla: los orígenes marxistas del proyecto de A.D. 1958-1935 (1993)
La marcha por la justicia y la paz de Venezuela (1994)
La sociedad civil: del mito a la realidad (1994)
Rómulo Betancourt, la formación de un liderazgo de izquierda nacionalista (1994)
Notes on the Public Dimension of a Humanizing Globalization (2005)
Reflexiones sobre el Poder Comunal (2007)
Publications :
La filosofía política del gomecismo: estudio del pensamiento de Laureano Vallenilla Lanz. (1974)
Democracia y dictadura en la Venezuela del siglo XX (1979). Colonia y Emancipación en Venezuela (1979)
Ensayos sobre el pensamiento político positivista venezolano (1985)
Estudio introductorio y compilación La segunda independencia de Venezuela: compilación de la columna Economía y Finanzas del Diario Ahora 1937-1939 (1992)
El programa nacionalista: izquierda y modernización 1937-1939 (1994). Rómulo Betancourt y el Partido Mínimo: 1935-1937 (1995)
Rómulo Betancourt y el partido del pueblo 1937-1941 (1995)

Pour en savoir davantage sur le nouveau Supérieur général, vous pouvez consulter l’article “De Caracas à Rome”, la première interview accordée par le P. Arturo Sosa à l’équipe de communication de la 36e Congrégation générale.

 

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