Loyola, le trésor caché du Pays basque
Maurice Selvais, un ancien du collège Saint-Michel de Bruxelles, en Belgique, nous raconte ses pérégrinations dans le Pays Basque, où le grand saint Ignace naquit. Maurice est membre de l’Association des Anciens Elèves de son collège ainsi qu’un rédacteur régulier au service de WUJA.
Arrivés la veille à Pampelune, où nous avions passé la nuit et que nous avons pu visiter grâce à Cyril Couvreur, un de nos amis belges, expatrié en Espagne pour affaires avec le continent sud-américain, nous pûmes déjà nous imprégner de cette atmosphère si délicieuse et si caractéristique de ces villes lovées entre monts et vaux, où l’air du soir – ni trop chaud ni trop froid – vient nous rappeler de façon très agréable que, même si nous ne sommes qu’à quelques kilomètres de la frontière française, nous sommes bel et bien en Espagne.
En effet, pour rejoindre la capitale de la Navarre, quoi de mieux que suivre la vieille route sinueuse empruntée voici 1.340 ans par Charlemagne et croiser les pèlerins qui, depuis Saint-Jean-Pied-de-Port, rejoignent à pied le site monastique de Roncevaux, situé au col pyrénéen, là où s’érige aujourd’hui un monolithe brut rendant un discret hommage à Roland, le héros à la chanson de geste bien connue et devenue à travers les siècles un véritable ode à la résistance contre les Sarrasins, bien que ce furent les Vascons qui en réalité les attaquèrent, mécontents du pillage sauvage de leur région par les troupes carolines.
Mon père, mon frère et moi-même partîmes donc de bon matin de la cité forale pour rejoindre le sanctuaire de Loyola, tout près d’Azpeitia, en plein cœur du Pays basque. Bien que situé à une grosse cinquantaine de kilomètres (à vol d’oiseau) seulement de Pampelune, il nous a fallu près de trois heures (en voiture !) pour rejoindre le village natal du grand saint Ignace. Armés d’une patience sanctificatrice et de bons essieux, les pèlerins des temps modernes que nous incarnâmes le temps d’une journée montrèrent qu’avoir une indulgence plénière – telle que l’avait indiquée le pape François en 2015 – devait se mériter, à juste titre.
C’est à la mi-journée que nous arrivâmes sur le lieu saint, l’immense basilique inaugurée en 1738 et voulue plus d’un demi-siècle plus tôt par la Reine mère Marianne d’Autriche. De nombreux architectes et entrepreneurs de renom se succédèrent à la tête du projet, parmi eux nous pouvons notamment citer le romain Carlo Fontana, directement choisi par le Préposé général de la Compagnie, Juan Pablo Oliva. Ce dernier voulait que le Collège, le futur Sanctuaire, fût une construction grandiose qui devait entourer la Maison-tour où naquit le grand saint. Y collaborèrent aussi le jésuite flamand Jean Bégrand, le maître basque Martin de Zaldua, Sebastian de Lecuna et le prestigieux architecte salamanquais Joaquin de Churriguera, maître d’œuvre de la cathédrale de sa ville.
L’intérieur de la basilique est somptueux et, à l’image du saint qu’elle honore, terriblement élégant et raffiné. L’espace de la rotonde centrale, de 20 mètres de diamètre, agrandi à 33,50 par la nef annulaire, est limité par huit splendides arcs de marbre noir dont quatre plus hauts et plus larges que les autres aux axes principaux et, en alternance, quatre arcs plus bas et étroits, tous couronnés par une frise élégante. Le second corps est le grand tambour de marbre plus clair, surélevé, avec un socle décoré de motifs guerriers et avec huit baies toutes semblables encadrées par des brûle-parfums posés sur des volutes, tout en marbre. La croix qui couronne le pinacle, à 65 mètres de hauteur, fut placée en 1735.
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Le travail sculptural fut réalisé par des artistes italiens. De 1734 à 1738 – date de sa mort –, Cayetano Pace modela, en stuc, les huit grandes statues allégoriques des Vertus qui ornent le début de la coupole sur la corniche supérieure. C’est également lui qui s’occupa de la grande statue de saint Ignace qui se trouve dans la niche centrale, sur l’entrée principale de la basilique, où le saint est représenté portant ses habits sacerdotaux avec un ange à ses pieds soutenant le livre des Constitutions.
Les autres sculptures des portiques, qui représentent les saints jésuites François-Xavier, François Borgia, Louis de Gonzague et Stanislas Kostka, sont de Miguel de Mazo, qui resta fidèle aux plans de Cayetano après sa disparition.
A l’intérieur de l’église, élevée en basilique en 1921, on plaça en 1758 dans la niche centrale supérieure la statue de saint Ignace qui avait été commandée au sculpteur valencien Francisco Vergara et qui se trouvait à Rome depuis 1745. Magnifique réalisation en argent repoussé, enrichie de cristaux et d’agates, elle fut réalisée dans les ateliers romains de Giuseppe Agricola (nom italien d’un argentier allemand, Josef Bauer) et payée par la Compagnie Guipuzcoenne de Caracas.
Entre 1740 et 1757, on construisit la grande grille d’entrée à l’église avec de l’acajou apporté de La Havane et on continua le travail des retables. Lorsque les jésuites furent expulsés d’Espagne en 1767, seuls les deux retables latéraux voisins du maître autel sur la droite, c’est-à-dire ceux dédiés à François-Xavier et à la Notre-Dame de Loyola (ou « Vierge du Patronage »), étaient achevés. Les quatre autres exèdres furent vides jusqu’au XIXe siècle, une époque durant laquelle la Compagnie, restaurée en 1814, souffrit plusieurs expulsions en Espagne. Les autels dédiés à saint François Borgia et au Sacré-Cœur furent certainement achevés peu après la restauration de la Compagnie. Les deux derniers, par contre, ceux de saint Alonso Rodriguez et de saint Pierre Claver, furent consacrés en 1883 à l’occasion de la consécration de toute l’église (qui n’avait été jusqu’alors que bénie), le 30 juillet de cette même année.
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Nous l’avons dit, toute cette grandiose construction fut interrompue par l’expulsion des jésuites d’Espagne en 1767. Lorsque la Compagnie revint d’exil, au début du XIXe siècle, le gouvernement lui rendit le Sanctuaire. Mais peu de temps plus tard, avec la confiscation des biens de l’Église, en 1835, le gouvernement le saisit à nouveau et l’adjugea à la Disputacion Foral de Gipuzkoa en 1843. Celle-ci en est encore propriétaire. Cette noble institution a eu dernièrement la gentillesse de rendre à la Compagnie la Maison-tour natale du Fondateur de l’Ordre, que nous avons eu la joie et l’insigne privilège de visiter malgré sa fermeture prématurée (ah, l’Espagne et ses fameuses siesta horas…), du fait de notre appartenance au réseau ignacien et que nous venions de loin pour rendre hommage au grand saint. L’usage d’une parole sage et bien intentionnée reste encore à ce jour l’arme la plus redoutable de tout « jesuit trained » qui se respecte.
Sur un terrain en pente des rives de l’Urola et non loin de lui, cette tour militaire fut construite par un aïeul de saint Ignace, don Juan Pérez de Loyola à la fin du XIVe siècle. Elle remplaçait une maison antérieure de laquelle il ne reste que quelques vestiges. La nouvelle tour, en pierre grossièrement travaillée, qui possédait à l’origine des mâchicoulis et des créneaux, quelques meurtrières et d’étroites fenêtres, conserve ses gros murs de 1,90 mètres d’épaisseur.
A l’extérieur, au-dessus de la porte, sculpté dans la pierre, le blason des anciens Loyola : un chaudron accroché à une chaîne entre deux loups. A l’intérieur, la tour a subi plusieurs remaniements importants à diverses époques. L’un d’eux eut lieu lorsque don Juan de Borja vint épouser une petite-nièce de saint Ignace et devint seigneur de Loyola. Un jour, le nouveau propriétaire fit bâtir des corridors qui, dès la façade sud-ouest communiquaient, par le jardin, avec la « casa lagarena ». Ils disparurent au début des travaux de construction du Sanctuaire.
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En 1682, quand les jésuites vinrent s’y installer, ils modifièrent profondément les chambres. En 1688 commencèrent les travaux des fondements du Collège. Le troisième remaniement, peut-être le plus radical et défigurant, fut celui de 1904 à 1921, lorsque les espaces intérieurs furent changés afin de pouvoir y loger huit chapelles qui vinrent s’ajouter à l’oratoire familial qui existait déjà à l’époque d’Ignace, là où le grand saint, durant toute sa convalescence à la suite d’une jambe broyée durant un combat, lut tous les livres qu’il trouva dans la bibliothèque et qui le firent réfléchir sur sa mauvaise vie passée, éveillant en lui le vague désir d’imiter les prouesses héroïques de quelques saints pénitents.
Cet oratoire situé au troisième et dernier étage de la Maison-tour, où se trouvaient les chambres des enfants de Loyola, est située près de la salle où Ignace, blessé et convalescent, se « convertit » à Dieu. Très tôt, en 1604 déjà, avant sa béatification, il y avait ici un petit « oratoire du P. Ignace ». Il est aujourd’hui intégré dans la moitié antérieure de ce troisième étage transformé en « Chapelle de la Conversion ».
Lorsque les jésuites vinrent habiter cette « Maison Sainte », ils firent bâtir, afin de faciliter le culte à Ignace de Loyola, qui avait été canonisé 60 ans auparavant, une chapelle qui occupa presque la moitié du rez-de-chaussée, avec une hauteur de deux étages en supprimant une partie du plafond. Cette chapelle fut dédiée à l’Immaculée Conception, très vénérée par les jésuites. Au premier étage se trouvaient la cuisine et les autres services de la maison ainsi que les chambres des domestiques.
Le deuxième étage de la Maison-tour accueille les chambres les plus nobles. C’est là que naquit Ignace de Loyola. Plusieurs tableaux ayant pour thème la maternité divine de Marie évoquent cette autre maternité humaine qui donna un grand saint au monde. Cette pièce eut une importance particulière au cours de la célébration du cinquième centenaire de la naissance d’Ignace et c’est pour cela que l’art de notre époque y est représenté par une sculpture en bois de chêne qui symbolise, en formes abstraites, un rejeton de la terre basque, expression de l’hommage du Patronat de Gipuzkoa. Non loin de la chambre natale du saint, est actuellement une chapelle sobre avec, au fond, un retable de deux corps en bois polychrome. C’est dans cette chapelle, par vénération au saint fondateur qui vivait encore, que célébra sa première messe, le 1er août 1551, saint François Borgia qui avait renoncé à ses titres de duc de Gandia et marquis de Lombay pour entrer dans la Compagnie de Jésus, prouesse spirituelle qu’il dut cacher durant un certain temps car, d’après saint Ignace, « le monde n’avait pas d’oreilles pour écouter un fracas aussi important ». La chapelle conserve la chasuble que revêtit le saint duc pour sa première messe. Elle avait été brodée par sa sœur, Dona Luisa de Borja y Aragon.
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Nous terminâmes la visite de la Sainte Maison par le parcours du Diorama qui fait la récapitulation, dans l’ordre chronologique le plus strict, de la vie du saint à l’aide de scènes modelées en plâtre peint, œuvre de l’artiste français Georges Serraz. Des verrières et des reliefs faisant allusion à la vie de saint Ignace et à son œuvre, la Compagnie de Jésus, qui décoraient la Maison lors de sa restauration de 1904-1920, complètent la dernière partie de ce parcours.
Il y a encore de nombreux sites ignaciens à proximité du sanctuaire, mais nous devions malheureusement continuer notre route vers d’autres horizons. Ce n’est donc que partie remise, notamment peut-être pour un futur camino depuis Loyola jusqu’à Manresa, en Catalogne, autre grand site sacré de l’histoire d’Ignace.